samedi 20 février 2016

Aménagement communal et étalement urbain, un cas exemplaire à Saint-Jean-de-Braye

Jean-Albert Guieysse, maître de conférence à l'Université d'Orléans, nous autorise à reproduire l'étude de cas qu'il vient de publier dans le n° 276 (janvier-février 2016) de la revue « Population & Avenir », sous le titre « Territoires périurbains et ville durable ». Nous l'en remercions chaleureusement.
 
Projets sur l'aménagement communal, et étalement urbain
Une étude de cas
 
par J-A. Guieysse (Université d'Orléans, CRIA-Géographie-Cités, UMR 8504).

Remerciements au SPLF 45 (http://splf45.blogspot.fr), et à Sylvain Boisseau, pour les informations et la photographie qu'ils ont fournies.

Introduction

Les projets de construction d'équipements en périphérie des agglomérations se multiplient sur le territoire français, tandis que, tous les sept ans, l' "artificialisation" des terres agricoles équivaut à la surface d'un département (Hamelin, Razemon, 2012). Comment comprendre ces évolutions? Comment manier la pensée géographique, à plusieurs échelles, et la rendre opératoire face à la réalité?
Nous répondons à ces questions à travers un exemple choisi à Saint-Jean-de-Braye (commune de la banlieue est d'Orléans), où un grand centre commercial est prévu, sur une zone cultivée. Dans un premier temps, nous exposerons les arguments de la critique générale, qui marie économie et géographie. Dans un deuxième temps, nous analyserons la géographie de l'agglomération orléanaise. Enfin, nous terminerons par la présentation d'un modèle d'aménagement urbain applicable à la commune de Saint - Jean - de - Braye, durable et aussi généralisable.

1. Le déploiement économique et l'étalement urbain

1.1. Le projet en question: un centre commercial en limite d'agglomération

Destiné "au sport et au bien - être", le projet se pare de l'appellation imagée de "village". Dans la réalité, il se place dans une commune peuplée de 19404 habitants (dénombrés en 2012 par l'INSEE), s'étendant sur 1370 ha, dans la banlieue est de l'agglomération d'Orléans, et au sud de la forêt du même nom (voir ci-contre, la carte de repérage). Les terres agricoles occupent, en 2010, 22% de la surface de la commune de Saint-Jean-de-Braye (source: Agence d'urbanisme de l'agglomération orléanaise), qui apparaissent en vert clair sur la carte précédemment citée, la forêt d'Orléans étant en vert foncé, et la zone urbanisée, côté ouest, en grisé. La commune est donc peu dense (1416,4 hab/ha, d'après l'INSEE, données locales 2012), et nous verrons plus loin que sa zone urbanisée l'est aussi.

Le terrain concerné par le projet de centre commercial représente une surface de 16,5 hectares, actuellement occupée par des boisements et des champs cultivés; il jouxte la zone urbanisée de la commune, et la "tangentielle", une autoroute de rocade qui parcourt la périphérie nord de l'agglomération d'Orléans (vue satellite, photographie n°1).
Vue satellite
Photo 1
Vue du site du projet de centre commercial, à Saint-Jean-de-Braye
(photographie SPLF45)
  

Dans cette commune de la banlieue dʼOrléans, subsistent des parcelles cultivées en céréales, selon les normes de lʼagriculture moderne. Ces surfaces productives ne sont considérées que comme des réserves dʼespace à bas prix, pour des opérations qualifiées abusivement dʼ «urbanisation», ou dʼ»aménagement».

 
1.2. La bulle des centres commerciaux

Comment expliquer qu'en France, malgré un équipement commercial exceptionnellement développé, les projets de nouvelles grandes surface se multiplient... tandis que le pouvoir d'achat, au mieux, stagne? Un article de Franck Gintrand, directeur général de Global Conseil Corporate, dans le quotidien Le Monde du 19 février 2015, titré "Attention à la prolifération des zones commerciales", dénonce une bulle spéculative. Plus les investisseurs construisent, plus ils peuvent lever de fonds, ce que la concurrence débridée qui règne sur le marché encourage par ailleurs. Il suffit alors d'annoncer aux collectivités locales, frappées par la crise économique et la baisse des dotations de l'Etat, des emplois, et des rentrées fiscales.
Mais ces aménagements se placent, pour l'emploi, dans un jeu à somme nulle: si un commerce attractif se développe, c'est aux dépens de l'existant. De plus, comme la productivité du travail est plus élevée dans un grand établissement moderne, l'emploi global du commerce pourrait même diminuer. Enfin, les géants de la distribution sont d'importants contributeurs au déficit commercial national

1.3. Une géographie centrifuge

La localisation périphérique des centres commerciaux draine de loin une clientèle motorisée, à proximité des carrefours routiers et autoroutiers qui jalonnent les rocades des banlieues. Les établissements présents dans ces lieux bénéficient d' "externalités positives", financées par les collectivités, comme la viabilisation et les réseaux techniques. L'effet "rente de situation" s'ajoute à l'effet de taille (économies d'échelle) et de diversité des commerces, restaurants et loisirs marchands, présents sur place. Les terres les moins coûteuses sont consommées, dans la dynamique centrifuge impulsée par la fuite en avant économique.
Le principe général de l'aménagement des périphéries urbaines est celui du zonage, qui délimite de grandes zones spécialisées dans l'habitat, le commerce, les activités... et l'enseignement et la recherche; par exemple: le campus universitaire de La Source, à 8 km au sud du centre d'Orléans (voir les cartes ci-jointes). Des autoroutes urbaines relient "nécessairement" lesdites zones entre elles. Suite à l'installation des "grandes surfaces" en périphérie, les commerces de quartier des centres d'agglomération disparaissent, et sont remplacés par des commerces de luxe, qui y accélèrent les processus de gentrification (installation de nouveaux habitants des milieux aisés, disparition des classses populaires), et de "touristification".
L'étalement urbain, le zonage, et les heures passées en automobile pour passer d'une zone à une autre, représentent un monde à la durabilité contestée. Jacques Lévy (2010) démontre que l'urbanité résulte de la densité et de la richesse des contacts dans la ville, atouts qui sont la condition du développement durable. Appliquons cette réflexion à l'agglomération d'Orléans.

2. Le projet, dans l'agglomération d'Orléans 

2.1. Le commerce de sport dans l'agglomération; axes et rocades 

La carte n°1 localise les magasins de sport dans l'agglomération orléanaise. Il apparaît une structuration de l'agglomération par un axe (l'ancienne route nationale 20), orienté Nord-Sud, passant par le centre-ville. Cet axe relie les deux pôles commerciaux périphériques de Saran, au nord, et d'Olivet au sud, et se prolonge vers le quartier de La Source, petite "ville nouvelle" de fait décidée en 1959, et principalement édifiée dans les années 1980-1990. Aujourd'hui, la ligne du tramway n°1 (nord-sud, longueur: 17 km) reprend cet axe urbain. La commune de Saint- Jean-de-Braye, à l'est, est reliée au centre par la ligne de tramway n°2 (est - ouest, longueur: 11km).
Les grandes surfaces assurent leur accessibilité géographique le long des grands axes et de la tangentielle. Leur fuite vers la périphérie apparaît à Saran et à Chécy, comme le montre la carte. Les petits commerces spécialisés dans le sport, en majorité, se placent à proximité de l'axe déjà ancien de la route nationale 20. À l'est, la commune de Saint-Jean-de-Braye en accueille au moins un.
Carte 1

2.2. Le système étalement urbain - trafic routier - tramway - pôles de banlieue

Le projet, de par sa localisation même, est explicitement fondé sur l'amplification du trafic routier. Les deux grands magasins de Saran et Chécy sont visés par une concurrence entre surfaces commerciales "de rocade" (carte n°1).
Aujourd'hui, la commune de Saint-Jean-de-Braye est bien reliée (par la tangentielle) aux pôles commerciaux existants. De plus, le tramway est un atout exceptionnel: en banlieue, Saint-Jean- de-Braye est la seule commune desservie, à l'est. En poussant la logique de la compétition entre les territoires, cette situation permettrait à la commune de modifier et même renverser les flux de chalandise, et de devenir un pôle périphérique attractif, à l'échelle de l'est de l'agglomération au moins... avec les conséquences dommageables exposées en première partie: augmentation de la circulation, "muséification" du centre orléanais...
La solution du problème peut apparaître dans une réflexion sur la densité urbaine de la banlieue, et la "relocalisation" du commerce (à l'échelle locale), dans les centres des communes (ici: Saint- Jean-de-Braye).

2.3. Problématique de la densification

La faible densité de la commune étudiée apparaît sur la photographie n°2. Les opérations de construction en cours qui, certes, augmentent la densité de population, sont souvent calquées sur un modèle pavillonnaire, qu'on pensait être réservé aux couronnes péri-urbaines lointaines (photographie n°3).



Photo 2
La station de tramway «Pont de lʼArche» à Saint-Jean-de-Braye
(photographie de lʼauteur, juin 2015)
 

La banlieue dʼOrléans, même traversée par cette ligne de tramway,
se montre très peu dense.


Photo 3
Lotissement en construction, au lieu-dit Bellevue,
dans lʼest de la commune de Saint-Jean-de-Braye
(photographie de l'auteur juin 2015)
 

Pour une commune de banlieue, cette opération de «densification»
nʼest guère urbaine, et
  plutôt une consommation extensive dʼespace,
sans projection dans lʼavenir .

Or, il est souhaitable de considérer les impératifs d'organisation d'un tissu véritablement urbain, c'est-à-dire plus dense; perspective qui nécessiterait des plans sur le long terme, traduisant la volonté de sortir du modèle centrifuge en vigueur (les migrations des citadins vers les périphéries), et de protéger le milieu.
En effet, les terres agricoles menacées de disparition par le projet précité font partie des espaces fréquentés par les citadins, pour le sport, l'équitation, la promenade. En même temps, plusieurs hectares de zones humides utiles sont visés (Saint - Jean- de- Braye se situe sur un bassin- versant dominant la Loire, milieu qui ralentit le ruissellement et filtre les écoulements).
La question est de savoir comment maintenir les zones agricoles et naturelles, tout en aménageant et en densifiant le tissu bâti existant.

3. Un projet de développement alternatif

La population de la commune augmente au même rythme que celle de la France métropolitaine: 0,6% par an (1999-2010, d'après l'Insee). Pour accueillir les nouveaux habitants, les commerces, équipements et emplois correspondants, le tissu urbain peut être densifié sur place, selon le modèle de la ville "compacte" (de densité suffisante pour maximiser les contacts); et de plus "cohérente" (bien irriguée par les transports), comme la définissent Korsu, Massot et Orfeuil (2012).

3.1. Promouvoir l'urbanité et la diversité

Contre l'étalement urbain et le zonage, le principe de la "ville compacte" est une solution qui fait consensus. Il s'agit de pérenniser un centre-ville attractif, aux fonctions multiples (principe de la "mixité"), nonobstant la présence de "coupures vertes". Dans le cas présent, "entre Loire et forêt d'Orléans", des espaces agricoles et forestiers, des parcs, espaces verts, bois... maintiendront des éléments de nature, et des espaces de liberté.
Mais la compacité n'entraîne pas en soi l'urbanité. Les différents quartiers doivent aussi être bien reliés entre eux, pour faire vivre la "ville cohérente". La vogue du tramway se justifie par là. De plus, le centre urbain communal doit être animé (entre autres activités) par les commerces de proximité. D'ailleurs, la grande distribution, attelée à son développement centrifuge, a compris simultanément l'intérêt de ce "créneau" de la zone dense, et y installe de petites succursales, là où se trouve la clientèle; comme dans le centre de Saint-Jean-de-Braye. Une implantation centrale est aussi une bonne anticipation du vieillissement de la population, qui plus tard verra sa mobilité se réduire. Mais jusqu'où le centre se tient-il?

3.2. La ville contenue, ou : comment ne plus l'étaler

La réflexion ici présentée a pour point de départ l'occupation du sol. On commence par dresser une carte simplifiée du Plan local d'urbanisme communal (PLU) (carte n°2). Les classes d'occupation du sol sont ici réduites au nombre de sept, et on y combine deux principes géographiques d'organisation: fonction et densité, en opposant des quartiers centraux à des quartiers périphériques (voir la légende de la carte).


Carte 2

Le fond de la carte (d'après la carte topographique de l'IGN à 1/25000) confirme la faible densité des zones bâties, même au centre-ville, et des zones d'activités et de services.
La politique de densification à mener dans cette zone bâtie, qui serait contenue volontairement dans ses limites, est à la portée du savoir-faire des urbanistes, respectant par ailleurs les zones agricoles naturelles et de détente (carte n°2), complétées par le maraîchage et les jardins familiaux, activités aux débouchés locaux assurés, encore présentes dans la commune.
Ces territoires fonctionnent en jouant sur les atouts du maintien de leurs densités différentes.


3.3. L'organisation durable du territoire communal

Les grandes zones définies ci dessus sont complémentaires. Le bâti communal s'appuie à l'ouest sur le centre de l'agglomération (Orléans). La commune de Saint-Jean-de-Braye, avec ses zones d'activités qui totalisent 145 ha en 2010 (source: Agence d'urbanisme de l'agglomération d'Orléans), a le privilège de ne pas être un dortoir. Le tissu urbain (et commercial) peut se structurer autour de la ligne de tramway, avec un pôle local autour de la gare SNCF, dont la réouverture est projetée. L'objectif est de contrôler les prix du sol autour de ces équipements structurants; plus généralement: de garantir des logements à prix aborbables, en tout lieu dans la commune.
Le nord de la commune (en limite nord de la carte n°2: zone agricole et d'activités), resterait une vaste zone "verte" et agricole, avec maraîchage et vergers, complétée à l'est par les alentours de la vallée de la Bionne, "coulée verte" en limite de commune. Ces "paysages ruraux péri- urbains" sont utiles, et esthétiques. La zone d'activités précitée en tire d'ailleurs argument.

Ce schéma d'aménagement préserve l'urbanité, la diversité sociale, l'emploi, la qualité de vie, l'environnement et les paysages. Ce sont les principes du développement durable, repris dans le schéma n°1.
Schéma 1

Conclusion

Cette politique est généralisable au territoire national. Elle commence par une "zonation territoriale" entre les terres "artificialisées" d'une part, et non artificialisées (naturelles ou agricoles), d'autre part (cf.§ 3.2). Les limites entre ces deux modes d'occupation du sol sont tracées. À l'intérieur de son domaine, se déploie la ville "contenue" et "cohérente": elle est modulable, démontable et réaménageable, en fonction des besoins de chaque époque. De façon complémentaire, les espaces agricoles, ou non artificialisés, sont eux aussi délimités, et maintenus non urbains. A l'intérieur de ces deux grands types d'espace diversifiés, les aménagements sont évolutifs et réversibles. Le tout constitue un monde durable, mais où le changement reste possible, de par la réversibilité générale des établissements humains.

Bibliographie

Hamelin E., Razemon O., 2012, La tentation du bitume - Où s'arrêtera l'étalement urbain? Paris, Rue de l'Echiquier, 224 p.
Korsu E., Massot M-H., Orfeuil J-P., 2012, La ville cohérente - Penser autrement la proximité, Paris, La Documentation française, 168 p.
Lévy J., 2010, "Le développement urbain durable entre consensus et controverse", L'information géographique, septembre 2010, 120-126.
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