dimanche 12 janvier 2014

Le projet Oxylane à l'épreuve de la démocratie locale

Les lois de décentralisation loin de rapprocher la décision du citoyen et de limiter les prérogatives et le corporatisme des maires ont renforcé leur pouvoir au niveau intercommunal (dans les communauté de communes par exemple) et au niveau municipal où leurs décisions échappent à tout véritable débat politique.

Les maires au terme d’obscures tractations de couloirs vident de toute substance les débats au sein des assemblées, conseils de communes ou conseils municipaux qui sont devenues de simples chambres d’enregistrement.
La disparition du débat politique conduit à la technicisation de l’action publique et à son uniformisation.


Tous ces points dont nous avons fait l’expérience sur le terrain, deux sociologues en ont fait leur objet d’études dans un livre intitulé
« La politique confisquée - Sociologie des réformes et des institutions intercommunales. » (Fabien Desage - David Guéranger - Editions du Croquant - 2011).
A lire aussi leur article
« Rendez-vous manqué de la gauche et de la politique locale » paru dans le numéro de janvier 2014 du monde Diplomatique.

Morceaux choisis de cet article - que nous vous encourageons bien sûr à lire dans son intégralité - accompagnés d'une mise en perspective avec notre situation locale (en bleu).

La similitude des programmes d’action publique

 
F. Desage et D. Guéranger nous rappellent que la
« standardisation des politiques locales n’a pas toujours été la règle » et ils font un certain nombre de rappels historiques à ce sujet (article cité plus haut, « A l’abri des regards » page 4) 

Mais aujourd’hui :
Comment ne pas constater la similitude des programmes d’action publique dans de nombreuses villes, indépendamment de la majorité au pouvoir ? Quelle agglomération n’a pas — ou ne veut pas — son tramway, son centre de congrès, son grand stade de football ou son écoquartier ? (article cité)
Nous confirmons pour Saint-Jean-de-Braye.
On peut y prévoir un écoquartier et un Village Oxylane sans y voir le début d'une contradiction, les deux projets faisant partie de la « boite à outils » de toutes les Agglos.
Les « briques » choisies par les maires pour bâtir leurs projets sont tirées du même jeu de construction élaboré en dehors de tout contrôle démocratique.
Il faudrait un inventaire à la Prévert pour en décrire le contenu, l'ensemble des grands projets qui font consensus : grand stade, aéroport, centre commercial, un peu d’environnement avec un écoquartier etc..etc..

  
Aux origines de l' uniformisation des politiques locales


 « Comment expliquer (...) que des élus de la gauche s’accommodent de l’uniformisation relative des politiques municipales ? »  s’interrogent F.D et F.D (article cité)

Les auteurs passent en revue un certain nombre d’explications toutes convaincantes :  


La réponse implique, sans ordre de préférence, la sélection sociale croissante des élites locales de gauche, de moins en moins issues des classes populaires (lire « Cent dix- sept fois plus de cadres que d’ouvriers »); la professionnalisation de l’action publique municipale et sa prétendue technicisation ; l’intensification des échanges entre institutions, permettant la circulation des fameuses « bonnes pratiques »; le poids de certaines contraintes financières acceptées au nom du pragmatisme; l’affaiblissement des structures de contrôle externe des élus locaux, parmi lesquelles les partis politiques. (article cité)
Puis ils s’attachent à explorer une autre hypothèse, « celle du développement d’espaces politiques fermés où prévalent l’entre-soi, le petit nombre et le huis clos, plutôt que l’assemblée, l’hétérogénéité, la publicité, le débat » à savoir les communautés de communes par exemple.

Un exécutif aux allures d’armée mexicaine


Selon les auteurs de l'article cité :
L’opacité qui y règne repose sur le monopole accordé aux maires : aucune décision, en particulier si elle concerne leur commune, ne saurait être prise sans leur accord. Pour être en mesure d’exercer un contrôle, ils préemptent les postes d’un exécutif intercommunal qui prend souvent une allure d’armée mexicaine. Des maires de toutes les formations politiques — de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) au PCF — y siègent les uns à côté des autres (...) Et, si le nombre de vice-présidents n’y suffit pas, il existe une pléthore d’instances (commissions, conférences des maires, bureau, bureau restreint) qui permettent aux maires de faire valoir l’intérêt de leur commune à l’abri des regards extérieurs(article cité)
Rappelons que le maire de Saint-Jean-de-Braye en est la vivante illustration car il est à la fois membre du conseil, membre du bureau, membre de la commission des communes. C'est beaucoup pour un seul homme. 

Une culture du consensus


Dans ces lieux, où il faut satisfaire les intérêts divergents, la recherche du compromis prime sur l’expression des clivages partisans ou idéologiques, aboutissant à une gestion le plus souvent technique. (article cité)
Le maire de Saint-Jean-de-Braye a si bien intégré cette culture du consensus qu’il cherche à l'appliquer au niveau communal jusque dans ses relations avec les associations.
Les associations « non consensuelles » sont accusées de dérive « gauchiste », de « faire de la politique » (quelle horreur !) , sont invitées à se présenter devant les électeurs alors que statutairement elles n’ont pas vocation à le faire, sont privées d’un certain nombre d’aides municipales etc..etc... 


L’ action publique dans un rapport distant aux lieux de délibération démocratique
 

C’est vrai des conseils communautaires :
L’observation des conseils communautaires en livre la triste illustration. Leur durée, l’heure tardive à laquelle ils se terminent, l’enchainement de délibérations sans enjeux font naitre un sentiment de lassitude : à mesure que l’heure avance, les rangs sont plus clairsemés, les signes d’impatience plus nombreux ; l’attention se relâche et les apartés se multiplient, dans une ambiance de plus en plus goguenarde et dissipée. Les partis politiques de gauche accusent particulièrement le coût de ce fonctionnement : faute d’information, leurs militants se retrouvent privés des moyens d’interpeler leurs représentants ; faute de perspectives offertes aux simples conseillers, la crise des vocations militantes se trouve aggravée et le renouvèlement des élites politiques compromis. (article cité)
Nous avons adressé plusieurs courriers à l'Agglo qui sont restés sans réponse. Nos questions ont-elles été inscrites à l'ordre du jour d'un conseil, y a-t-il eu débat autour de ces questions ? Évidemment, non.

C’est vrai aussi des conseils municipaux, généraux, et régionaux :

Des institutions (intercommunales) qui, d’un côté, procurent de nombreux avantages à ceux qui les investissent : les indemnités de présence, les remboursements de frais et autres avantages matériels ou symboliques, mais aussi le confort de l’entre-soi et d’une décision à huis clos, sans les habitants ni les militants. De l’autre, les assemblées élues et délibérantes des collectivités locales (conseils municipaux, généraux et régionaux) se trouvent condamnées à entériner la plupart des décisions, réduites à un rôle de chambre d’enregistrement où se tiennent des débats de façade. (article cité)
Il n’y a pas que le conseil municipal qui est réduit au rôle d’une chambre d’enregistrement. Toutes les instances de concertation, de démocratie participative le sont également.
Il est affirmé en préambule du dossier d’enquête publique que « la Ville s’est engagée dans un processus de concertation autour du projet, en amont de la conception de celui-ci par l’organisation d’ateliers de travail urbain ».
C’est bien sûr inexact : ce projet a été conçu en amont par le groupe Oxylane et les maires successifs de Saint-Jean-de Braye (le maire PS ayant repris le flambeau - olympique - du maire UMP) , l’atelier de travail urbain n’étant qu’une chambre d’enregistrement chargée de discuter des modalités d’application d’un projet conçu d'avance.

 
Des structures locales, notamment intercommunales, « réactives », «  souples », « efficaces » ? Pour quels projets ? 


Les réalisations visibles, parfois très symboliques (le Grand Stade de Lille, le réaménagement piéton du Vieux-Port à Marseille, le Carrousel des mondes marins à Nantes, la construction du tramway à Montpellier), tendent à faire oublier que d’autres compétences peinent à se manifester, en particulier celles qui portent à la polémique : la fixation des priorités en matière d’aménagement et de développement du territoire (document de planification, fiscalité locale...), les politiques en faveur des populations les plus fragiles (logement social, aires d’accueil des gens du voyage...). Or cette absence de politiques locales redistributives s’explique largement par les règles de fonctionnement collégiales et prétendument non partisanes qui prévalent dans ces structures. (article cité)
SPLF45 a proposé des alternatives au projet Oxylane notamment dans le domaine de l'économie sociale et solidaire qui sont restées lettres mortes.

Conclusion  


 « Face à une «démocratie d’élus locaux » née de la décentralisation (qui) a subordonné les politiques locales à des enjeux territoriaux plutôt que sociaux, consensuels plutôt que contradictoires, négociés plutôt que délibérés » (article cité), les auteurs en appellent à de nouveaux dispositifs démocratiques (démocratie directe, référendum révocatoire, non-reconductibilité...), à ce qu’ils appellent  en s’inspirant des mots de l’écrivain portugais Fernando Pessoa, une « démocratie de l’intranquillité ».

Manifestement le maire de Saint-Jean-de-Braye a opté pour la démocratie de la tranquillité, à « l'abri des regards extérieurs » pour reprendre une formulation de l'article de Fabien Desage et David Guéranger
On aimerait que le bulletin municipal « Regards » qui nous raconte par le menu les actions du maire, porte à notre connaissance la véritable histoire du projet Oxylane à Saint-Jean-de-Braye, de sa naissance sur les genoux du maire UMP Jacques Chevalier à sa consécration sur ceux du maire PS actuel David Thiberge. 


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Pour en savoir plus 

Sur les pratiques anti-démocratiques des élus, la présentation du livre « La politique confisquée » sur Radio Campus Lille.

Lien direct pour écouter la présentation des auteurs à la librairie Meura le 11 janvier à Lille (mp3) : Lien


Lire aussi le compte-rendu de lecture du livre « La politique confisquée » de Fabien Desage et David Guéranger par Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret.



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