mercredi 15 avril 2015

Les riches ont aussi le droit de payer des impôts

Le titre de cet article est emprunté à un livre de Marco Van Hees qui dissèque en 20 questions les mécanismes permettant aux plus riches de ne pas payer d'impôts en Belgique.

Des réfugiés SDF 


Lors de sa conférence du 13 mars à Saint-Jean-de-Braye, Benoît Boussemart épinglait la Belgique devenue une terre d'asile pour les filiales des multinationales du groupe Mulliez (mais pas seulement) ou pour les membres de la famille cherchant à fuir l'impôt sur les grandes fortunes (exil fiscal). De riches français que Marco Van Hees qualifie de « réfugiés SDF », c’est-à-dire Sans Difficultés Financières.

Évasion fiscale, fraude, optimisation

De quoi parle-t-on lorsqu'on emploie l'un ou l'autre de ces termes ?
La fraude consiste à contourner volontairement la législation fiscale à la différence de l’optimisation où cette même législation fiscale est utilisée dans le but d’échapper à l’impôt par différents moyens légaux (régimes dérogatoires, utilisation de niches fiscales …). Contrairement à la fraude, l’optimisation est légale même si sa légitimité ou son efficacité peut être contestée. En effet, cette stratégie peut être juridiquement considérée comme illégale dans la mesure où elle constitue un abus de droit (utiliser des mécanismes légaux pour échapper à l’impôt) mais le démontrer en pratique reste difficile pour l’administration fiscale.

Article « Évasion fiscale » sur le site lafinancepourtous.com

Selon le même site,  la « définition d’évasion fiscale est quant à elle plus complexe. Elle relève à la fois de l’optimisation et de la fraude »

Source de l'image : lafinancepourtous.com

L'évasion fiscale (fraude + optimisation) représente un manque à gagner pour l’État français évalué entre 60 à 80 milliards d’euros par an, selon les derniers rapports parlementaires. Soit l’équivalent de ce qui est collecté avec l’impôt sur le revenu. Un euro sur 5 échappe ainsi à l’impôt en France !

Source  « Spéculation, évasion fiscale, bonus des traders : observez en direct la démesure des banques et marchés financiers » - bastamag.net
Pour boucler la boucle, qu'appelle-t-on les « paradis fiscaux »  ? Il s'agit des états petits ou grands qui attirent sur leur territoire les entreprises et les particuliers souhaitant pratiquer un sport qui entretient (leurs comptes en banque) : l' évasion fiscale.
 
Les firmes transnationales (FTN) concurrencent et mettent en concurrence les
états

Pour Benoît Boussemart, la stratégie des états appelés « paradis fiscaux » qui commercialisent leur souveraineté n'est pas compréhensible si on perd de vue la mondialisation capitaliste et la stratégie des FTN devenues si puissantes qu'elles peuvent concurrencer et mettre en concurrence les états. 

Jean-François Freu, professeur d'économie et de sciences sociales, analyse ainsi la question :
 

  • Compte tenu des revenus et des emplois qu’elles représentent, les FTN ont une capacité à influencer les décisions prises par les Etats-Nations en matière de politique extérieure et commerciale.
     
  • La multinationalisation des firmes pousse ainsi à la mise en concurrence des territoires pour attirer des capitaux étrangers (moins disant socio-fiscal).
     
    1. D’une part les FTN vont utiliser la méthode des prix de cession internes pour faire apparaître les bénéfices dans les paradis fiscaux qui n’ont pas d’imposition sur les bénéfices.
       
    2. D’autre part, les FTN vont faire du chantage à l’emploi (menace de délocaliser) pour obtenir une baisse des prélèvements obligatoires (impôts + cotisations sociales).
     
  • Les FTN ont un rôle important dans la définition des normes sociales, c'est-à-dire de l'ensemble des règles qui régissent le droit du travail et la protection sociale (dumping social).
     
  • Les FTN ont aussi une influence sur les normes environnementales, c'est-à-dire toutes les règles qui cherchent  à  protéger  l'environnement  naturel (dumping environnemental).

Pour en savoir plus, cliquer sur ce LIEN

Benoît Boussemart a longuement détaillé le 13 mars les mécanismes de l'évasion fiscale pratiqués par les firmes dont celles du groupe Mulliez.
 

Il évoque aussi la question dans l'interview qu'il a accordé au journaliste de Radio Campus Orléans. Vous pouvez le réécouter ici :
 





Quelques mécanismes d'évasion fiscale

1. la méthode des prix de cession internes « pour faire apparaître les bénéfices dans les paradis fiscaux qui n’ont pas d’imposition sur les bénéfices. Pour cela, il suffit que la filiale productive vende ses produits à un prix inférieur au coût de production à une autre filiale du groupe qui se trouve dans un paradis fiscal. Cette autre filiale vendra les produits dans le monde et les bénéfices apparaîtront dans le paradis fiscal » (voir J-F Freu, ci-dessus).

2. la méthode des intérêts fictifs ou des intérêts notionnels

En Belgique, les entreprises peuvent déduire 3% de leurs fonds propres
Sur le papier, le concept d’intérêt notionnel n’a pourtant rien de scandaleux. Petit cours de comptabilité : quand une société a besoin d’argent frais pour investir, elle a le choix entre emprunter (et payer des intérêts aux banques) ou lever des fonds propres (et verser des dividendes aux actionnaires). Or, si les intérêts d’emprunt sont déductibles du bénéfice imposable, les dividendes ne le sont pas. L’entreprise est donc encouragée à s’endetter plutôt qu’à augmenter son capital. «Il fallait corriger cette distorsion fiscale», explique Manoël Dekeyser, avocat en droit des affaires à Bruxelles.


(Plus grave
 que Depardieu, 
l’argent caché du CAC 40 en Belgique
- Capital.fr)
 
Dans le cadre de la fiscalité en Europe, cette mesure est susceptible d’entraîner des effets sur les pays voisins. En effet, une société d’un pays limitrophe pourrait créer deux filiales, une opérationnelle et l’autre de financement. Les fonds propres de la société initiale sont apportés dans la filiale de financement créée en Belgique, puis la filiale de financement prête les fonds à la filiale opérationnelle, restée sur le lieu d’origine, au taux des intérêts notionnels (4,473 % en 2009). Les années suivantes, la filiale opérationnelle paie les intérêts contractuels à la filiale de financement. Les intérêts contractuels seront imposables pour la filiale de financement mais, étant donné que leur montant est égal à la déduction pour capital à risque, l’impôt sera nul. Lorsque la filiale de financement fait remonter son bénéfice, sous forme de dividende, à la maison-mère, les conventions de prévention de la double imposition prévoient en général que ce dividende ne sera pas imposé car il s’agit de bénéfices ayant été soumis à l’imposition commune en Belgique (régime des revenus définitivement taxés).
 
Par ce mécanisme, les intérêts notionnels seraient susceptibles de profiter à des sociétés européennes même lorsque leur pays d’origine ne le prévoit pas.
 
(Vous n'avez pas bien compris ? Lisez la totalité de l'article Intérêts notionnels -Wikipedia, d'où est tiré ce dernier extrait, il y a un très bon exemple concret)

Grâce à la complaisance de la législation belge, le centre de financement mondial d’Auchan ne paie que 0,01 % d’impôt.
Lire l'article de Pierre Ivorra,
« Un pays qui parle à l’oreille des riches »

3. La méthode d'acquisition des terrains par une SCI basée en Belgique.
Des sociétés françaises peuvent décider d'avoir des magasins qui opèrent en France mais la propriété des terrains, les constructions sont détenues par des sociétés civiles immobilières à l'étranger. Chaque magasin français paie le loyer à leur SCI implantée en Belgique, filiale du même groupe . L'impôt français est diminué avec les charges que représentent les loyers et donc bien entendu on paie moins d'impôts en France. Et comme en Belgique les taux d'imposition pour les SCI sont plus faibles qu'en France, c'est tout bénéfice. (Benoît Boussemart sur Radio Campus)
On notera à ce propos que la mairie de Saint-Jean-de-Braye a accordé un permis d'aménager à la SCI SPORTNATURA (alors que la vente n'est pas encore effective ! ).
Selon Benoît Boussemart, le groupe DECATHLON possède en Belgique une société qui s'appelle WEDDELL qui elle-même possède au moins une centaine de filiales, essentiellement des SCI. Il y a autant de SCI qu'il y a de créations de magasins Decathlon. Lorsque le groupe veut se séparer d'un terrain, il vend la SCI.
La SCI SPORTNATURA est détenu à 99% par WEDDELL SA.

Les comptes consolidés du groupe DECATHLON font apparaître qu'il détient pour 800 millions d'euros de terrains. Des terrains qui sont achetés plus ou moins chers, 2 euros 40 le m2 à Saint-Jean-de-Braye, 30 euros le m2 à Lesquin selon la Voix du Nord, qui sont mis en valeur par les aménagements commerciaux et qui produisent quand tout se passe bien une rente (location) ou des plus-value non imposées (vente).
Elle est pas belle la vie ?    

4. la méthode
d'exonération sur les droits de propriété intellectuelle

Exemple de MacDo : dans le détail, la filiale (française en l'occurrence) doit payer une redevance pour l'usage de la marque et du savoir-faire de la chaîne à une autre filiale, installée elle dans un paradis fiscal ou du moins dans un pays où les impôts sont plus légers. La filiale française ne paye ainsi pas d'impôts sur cette charge, un peu comme quand un particulier déclare une pension alimentaire ou des travaux.
Source : Optimisation fiscale : que risque McDonald's ?
Autre exemple : la convention fiscale signée entre la Belgique et Hong Kong permet d'optimiser légalement la fiscalité sur les redevances / royalties liés à ces droits de propriété intellectuelle. Pour voir le montage, cliquez ICI.

5. la création d'une SOPARFI (Société de participations financières) au Luxembourg
La Soparfi est un type de holding luxembourgeoise, dont la vocation est la détention de participations dans des sociétés filiales, européennes notamment (non cotées ou cotées).

La Soparfi bénéficie des avantages de la Directive mère-fille (n°2003/123/CE du 23 décembre 2003) : cela signifie qu'elle peut encaisser les dividendes distribués par ses filiales, sans retenue à la source dans le pays où elles sont localisées .

Par contre, lorsqu'elle distribue des dividendes à ses actionnaires, une retenue à la source de 15 % est d'application...sauf si les actionnaires sont des personnes physiques résidentes, ou des personnes morales européennes.

Source : Cachez ce Luxembourg, que je ne saurais voir... (AgoraVox)
Les SOPARFI ont été mises en place au Luxembourg grâce aux bons soins de l'actuel président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker.
Elles sont avantageuses pour les entreprises et les particuliers. Les SOPARFI ne paient pas d'impôts, ne sont pas imposables sur les plus-values.
 

Le saviez-vous ? C'est une SOPARFI, « AFIR-Holding Luxembourg »  (Sociétés Civiles Leclercq-Mulliez) qui possède 44% de DECATHLON.
AFIR ne paie jamais d'impôts alors qu'elle possède des actifs qu'on peut évaluer à 1 milliard 500 milles euros selon Benoît Boussemart. 
Elle n'est pas belle la vie ?
Lire l'organigramme du groupe dans « Le groupe Decathlon - Évolution récente »  (Benoît Boussemart)

La pyramide de Mulliez  (c'est beau comme une pyramide de Ponzi même s'il s'agit d'une toute autre pompe à fric tout à fait légale celle-là)

Les extraits qui suivent proviennent d'un article de la Brique, « Auchan-Mulliez : un clan de profiteurs » :
Le groupe Mulliez n’existe pas, officiellement. Il y aurait différentes entités séparées : Auchan, Décathlon, Tapis Saint Maclou, etc. Dans La richesse des Mulliez, Benoît Boussemart démontre qu’il n’en est rien. Derrière tout un puzzle de centaines de sociétés que la tribu Mulliez s’est amusée à créer, c’est bien un empire économique unifié qui est dévoilé. Ils ont été imaginatifs : des entreprises, contrôlées par des sociétés (des sous-holdings), contrôlées par des sociétés (des holdings opérationnelles), contrôlées par des sociétés (des holdings intermédiaires), contrôlées par des sociétés (des « sociétés en commandite par actions », SCA), contrôlées par des sociétés (des « sociétés civiles ») [1] .

Le grand chemin du profit

Si ces petits malins tentent de brouiller les pistes, les bénéfices remontent bien tout en haut de la pyramide, sur les comptes de 280 sociétés civiles contrôlées par le clan Mulliez [2] . L’ensemble est cadenassé par l’Association Familiale Mulliez. Celle-ci n’a pas d’existence officielle et ne possède rien, mais est néanmoins le cercle de décision qui définit les clauses et les valeurs catholiques à appliquer à toutes les sociétés du groupe.

[1] Grosso modo, les « holdings », « sociétés civiles » ou « SCA » sont des sociétés financières qui détiennent des parts de capital de plusieurs entreprises, et les dirigent en sous main.
[2] Les 280 sociétés civiles possèdent l’ensemble des titres des sept SCA (Acanthe, Cimofat, Valorest, Valma, Cimoflu, Soderec et Claris). Avec les SCA personnelles comme celles de Gérard Mulliez (Ausspar) ou de Michel Leclercq (Afir), elles concentrent l’ensemble des capitaux du groupe.
Pourquoi le groupe Mulliez n'existe-t-il pas officiellement ?

Parce que c'est très désavantageux pour un tas de raisons d'être reconnu comme un groupe. Notamment parce que ça l'oblige à reclasser en interne ses salariés lorsqu'une de ses enseignes met la clé sous la porte.
A noter qu'il existe une grosse incertitude sur l'avenir de cette obligation avec la nouvelle loi Macron
. En cas de plan social, le reclassement obligatoire se limitera au seul niveau de l’entreprise et ne se fera plus à l’échelle du groupe.

C'est ce qu'on appelle travailler pour un nouveau rapport de forces...en faveur des firmes...
Benoît Boussemart s'efforce depuis plusieurs années avec l'aide d'un avocat de faire reconnaitre la réalité du groupe Mulliez par les tribunaux

Moralité

Il n'y en pas.
Business is business. 

DECATHLON est une multinationale d'articles de sport et se comporte comme telle. Accroissement du chiffre d'affaires, réduction des effectifs (ils stagnent en France - lire ici l'interview de B. Boussemart dans la Rep)

La « responsabilité sociale » du groupe DECATHLON consiste à employer une majorité de jeunes en CDD, de temps partiels, payés au SMIC, bien moins choyés que l'armée de juristes et de fiscalistes (Mobilis) qu'il entretient  pour échapper à l'impôt.

Actualité et appel à manifester

Sous l'impulsion des multinationales, les États-Unis et l'Europe sont en train de négocier en catimini un traité de libre échange qui porte le nom de TAFTA.  Ce traité vise à lever toutes les barrières dites non tarifaires, c'est à dire à anéantir toutes les réglementations mises en place par les états souverains pour protéger les services publics, soutenir une alimentation de qualité et protéger les productions locales. Ces mesures ont permis en partie d’assurer la souveraineté alimentaire des états.

Et elles s'inscrivent dans une longue tradition de luttes en faveur du pouvoir public et contre le pouvoir des firmes. 

Lorsqu'en 1906, un roman intitulé « La Jungle  » du « fouille-merde » Lipton Sinclair raconta en détail comment opéraient vraiment les sociétés géantes productrices de viande en conserve, le président Theodore Roosevelt répondit par une loi sur l'hygiène alimentaire et chimique,  le « Pure Food and Drug Act » (Economix - Michael Gooldwin)
Il ne fait pas de doute que les multinationales d'aujourd'hui sont à la pointe du lobbying pour faire aboutir cet accord.
 

SPLF45 a appelé bien entendu à participer à la journée internationale du 18 avril contre les accords de libre-échange et contre le TAFTA : lire ICI

STOP TAFTA ! Des fermes, pas des firmes !  leBlogger